François Cheng, académicien français d'origine chinoise, nous dit: «La beauté est toujours un advenir, pour ne pas dire une épiphanie, et plus concrètement, un "apparaitre-là" (...). Tout le monde n'est pas artiste, mais chacun peut avoir son propre être transformé, transfiguré par la rencontre avec la beauté.» Il existe un lien particulier unissant beauté et intuition: en admirant l'une, on fait souvent : surgir l'autre. » Ce phénomène est difficile à expliquer rationnellement, si ce n'est que la contemplation du Beau fait souvent naître en nous un doux sourire intérieur, qui nous détend en profondeur, et c'est justement grâce à cette détente que peut jaillir un éclair d'intuition. Toutefois, hormis la beauté admise par le plus grand nombre - celle d'un tableau de maître, par exemple -, celle-ci n'est pas toujours reconnaissable au premier coup d'œil. La survenue du Beau ne nous transpercera, en effet, que si nous réussissons à faire taire en nous l'espèce d'avidité qui veut à tout prix se remplir pour combler un vide, comme le ferait un consommateur en pleine compulsion d'achat. Or la beauté ne devient accessible que par une certaine qualité du regard. Encore faut-il que ce regard soit prêt... La contemplation de la beauté ne se transforme en jaillissement d'intuitions que si nous nous trouvons dans un niveau d'énergie suffisant, permettant une ouverture de la conscience et une aspiration à exister plus intensément. À cet égard, François Cheng remarque: «La beauté relève proprement de l'Être, mu par son impérieux désir.» En effet, c'est cette soif authentique et profonde qui permettra l'incidence d'une vraie rencontre esthétique, avec toute sa dimension intuitive. La beauté, en nous unifiant au niveau du corps et de l'esprit, nous livre une compréhension radicale de ce que nous sommes réellement, et de notre potentiel véritable. Certains y verront la marque du divin, à l'instar des mystiques. D'autres ne chercheront surtout pas à l'expliquer... Il existe au Japon une contemplation de la beauté qui s'est élevée au rang de discipline artistique : c'est l'écriture poétique de haikus. Ce terme a été créé en 1891 par Masaoka Shiki, un auteur japonais du XIXe siècle. Il s'agit d'une forme poétique extrêmement brève visant à exprimer et à célébrer la splendeur et l'évanescence des choses et en particulier celles de la nature. Le haiku ne se contente pas de décrire, il doit également évoquer: C'est la traduction d'une observation ou d'une impression éphémère, d'une sensation ou d'une émotion fugace; il n'exclut pas l'humour ni des aspirations philosophiques ou spirituelles. C'est en quelque sorte l'équivalent littéraire d'un «instantané». Comment composer soi-même un haïku? Le haïku s'écrit sur une seule colonne, comme les caractères calligraphiques japonais. Il est constitué d'un ensemble de trois vers (ou tercet) de 3, 5 et 7 syllabes. Les compositions les plus usitées sont : 3/5/7; 5/5/7; 7/5/5. Il est dépourvu de rimes, en général, car le haïku ne se travaille pas: il est rapide et concis. Page 88 Observer un tableau, c’est comme une transmission en lien avec une vibration entre l’observateur et l’œuvre, le travail de l’observé. (Moi) Voici trois exemples de haïkus célèbres : Matsuo Bash? "Un vieil étang silencieux... Une grenouille saute dans l'étang, Splash ! Silence à nouveau." Ce haïku est souvent cité comme l'un des plus emblématiques de Bash?, capturant un moment fugace de la nature avec simplicité et profondeur. Yosa Buson "La lumière de la lune Se déplace vers l'ouest, les ombres des fleurs Rampent vers l'est." Buson est connu pour ses haïkus qui évoquent la beauté de la nature et la passage du temps. Kobayashi Issa "O escargot Grimpe le mont Fuji, Mais lentement, lentement !" Issa est apprécié pour ses haïkus qui reflètent souvent une touche d'humour et de simplicité, tout en abordant des thèmes profonds. Ces haïkus illustrent la capacité de cette forme poétique à capturer des moments éphémères avec une grande profondeur émotionnelle et philosophique. Dans Flourish: A Visionary New Understanding of Happiness and Well-Being (2011), Martin Seligman développe une vision plus large du bien-être, allant au-delà du simple bonheur. Il introduit le modèle PERMA, qui comprend cinq éléments essentiels au bien-être : les émotions positives, l'engagement, les relations, le sens et l'accomplissement. Bien que le livre ne se concentre pas spécifiquement sur l'art, l'idée que l'observation des œuvres d'art peut influencer positivement la santé mentale est parfaitement compatible avec les principes du modèle PERMA. Émotions positives : L'art peut provoquer des émotions positives telles que la joie, l'émerveillement et la gratitude. Contempler des œuvres d'art, qu'il s'agisse de peinture, de sculpture ou d'autres formes d'expression, peut éveiller des sentiments agréables qui contribuent à l'augmentation des émotions positives dans la vie d'une personne, favorisant ainsi le bien-être général. Selon Seligman, ces émotions jouent un rôle crucial dans l'amélioration de la santé mentale en réduisant le stress et en favorisant une humeur positive. Engagement : L'observation d'une œuvre d'art peut conduire à un état de "flow", un concept que Seligman aborde dans le cadre de l'engagement. Lorsque nous sommes totalement absorbés par l'art, nous pouvons éprouver une profonde immersion dans le moment présent, ce qui améliore la concentration et nous aide à échapper aux préoccupations quotidiennes. Cet engagement profond est un facteur essentiel pour réduire l'anxiété et améliorer la résilience mentale. 3. Relations : L'art peut également renforcer les relations sociales, car il peut servir de point de départ pour des discussions et des échanges significatifs. Partager des expériences artistiques avec d'autres personnes peut créer des liens profonds et enrichissants, ce qui est bénéfique pour la santé mentale, comme le souligne Seligman dans sa conception des relations humaines comme fondement du bien-être. 4. Sens : L'art permet de trouver un sens plus profond à la vie, ce qui est un aspect fondamental du modèle PERMA. L'exploration d’œuvres artistiques souvent chargées de significations culturelles, historiques ou personnelles peut offrir des perspectives nouvelles et un sens de connexion au-delà de soi-même. Cela peut nourrir une sensation de transcendance et aider à donner un sens à ses propres expériences de vie, ce qui est un facteur crucial pour la santé mentale à long terme. 5 Accomplissement : L'appréciation de l'art peut aussi nourrir un sentiment d'accomplissement personnel. Lorsque l'on comprend ou interprète une œuvre, on ressent une forme de succès intellectuel et émotionnel. Ce processus peut stimuler l'estime de soi et contribuer à une plus grande satisfaction de la vie, éléments centraux pour un bien-être durable selon Seligman. En conclusion, bien que Flourish ne traite pas directement de l'art, les principes énoncés par Seligman se retrouvent pleinement dans les effets positifs de l'observation des œuvres d'art sur la santé mentale. L'art contribue à la santé mentale en favorisant des émotions positives, en facilitant l'engagement, en renforçant les relations, en donnant du sens à la vie et en stimulant l'accomplissement personnel, ce qui se traduit par une amélioration globale du bien-être.