Par Jean Marc Bastière chez stock Points vivre 2018 “Le temps est notre bien le plus précieux. Aujourd'hui, il est même la nouvelle richesse.” Dourtant. nous sommes souvent fâchés avec lui “Le temps quantitatif et le temps existentiel Les deux anciens camarades personnifiaient à leur façon les deux dimensions du temps : le temps quantitatif, celui que l'on mesure, le temps des montres et des chronomètres, qui est celui des scientifiques, des ingénieurs et des gestionnaires ; et le temps existentiel, celui que l'on ressent dans toute sa subjectivité, avec ses filtres, ses amplitudes et ses déformations, le temps du monde sensible, psychologique et spirituel. Ce temps vécu par tout un chacun est, bien sûr, le temps privilégié des artistes, des amoureux et des mystiques “(P31) Un temps pour tout “La vie n'est pas un capital, elle est une totalité. Elle mêle le bon grain et l'ivraie. Vivre totalement, ce n'est pas trier ce qui plaît et ne chercher que les réjouissances. C'est prendre l'existence dans sa réalité. Cela commence par vivre chaque séquence. Il y a un temps pour tout, dit l'Ecclésiaste. Un temps pour semer, un temps pour récolter. Un temps pour la paix, un temps pour la guerre. Un temps pour la fête, un temps pour le travail. Cultiver son jardin, même s'il ne produit que des fruits secs, fait partie du bonheur. Vivre, c'est assumer cela, le plaisir mais aussi le labeur. Les noces mais aussi le deuil. La joie mais aussi la tristesse. Il ne s'agit pas seulement de vivre l'instant présent mais aussi la tonalité unique du temps que l'on vit. Ce temps-là et pas un autre. Notre époque et pas une autre. Tout en sachant que ce temps-là prendra fin, que ce temps-là n'est pas la totalité. Vivre totalement n'est pas vivre intensément, « à fond les manettes », du moins pas toujours. Cette croyance est une illusion moderne. Quand, le soir, après une dure journée de travail, nous regardons fascinés ces vidéos de jeunes sportifs pleins de « pêche» qui sillonnent la planète sur fond de musique rythmée, nous pouvons éprouver des complexes, comme si nous contemplions derrière une vitre une existence inaccessible. “ (P41) EXERCICES : 1) Comment concilier dans ma vie l'inspiration et la planification ? 2) Conférer une valeur vie à chaque temps imparti : le veux-je vraiment? Puis-je l'éviter ? Que modifier pour l'améliorer ? 3) Quel est mon désir fondamental ? 4) Sais-je ralentir mais aussi accélérer quand il le faut ? 5) Sais-je habiter les temps morts et les moments creux ? 6) Saurai-je saisir l'occasion ? 7) Quelles peurs m'empêchent de risquer et de vivre pleinement ? 8) Est-ce que j'accepte non de courir après le temps mais de me laisser porter par lui ? L oisiveté créatrice selon les Anciens “L'otium, art de vivre typiquement romain, est l'antonyme du negotium (les affaires). C'est le temps libre dont dispose le citoyen après que les obligations ont été remplies. C'est le temps de l'étude et de la création littéraire pour ceux à qui, précisons-le, la fortune permettait d'échapper au labeur. Le loisir, tel qu'il a été réfléchi par les philosophes gréco-latins et plus tard par les théologiens chrétiens, est surtout un état de l'âme, qui se traduit par la quiétude intérieure et l'ouverture de tout notre être.” Que faire du temps libre? “Plus de loisirs que jamais s offrent à nous, mais que faisons nous de ce temps dont nous disposons cruellement? Nous sommes confrontés à un cruel paradoxe. Comme les oiseaux emportent les graines laissées sur le bord de la route, tout est conçu pour nous dérober sans cesse cette part précieuse. Ce rapt de ce qui est perdu à jamais, notre temps, nous y consentons avec une fatalité nonchalante, sinon avec enthousiasme. C'est une guerre mondialisée et subreptice, un conflit non pas ouvert mais couvert, qui a lieu en ce moment. Le champ de bataille :> notre esprit. S'ajoutant à la sempiternelle télé-vision, le temps passé sur Internet et les réseaux sociaux a terriblement crû dans nos vies, jusqu'à provoquer stress, anxiété, troubles de l'attention et toute une kyrielle de désagréments psychiques. Que de possibilités s'offrent à nous lorsque nous surfons sur le World Wide Web mais aussi, avouons-le, que de temps perdu ! Internet, c'est l'illusion d'avoir le monde à portée de clic ! Illusion, oui, en grande part, car les choix quasi illimités excèdent infiniment nos minuscules capacités. Nous butons sur nos limites humaines. Les journées n'ont que vingt-quatre heures, nous ne vivons que quatre-vingts ans... Et puis, il existe sur le Web une distraction incessante (ou un aguichage permanent) : héroïque, celui qui parvient à s'astreindre à la seule tâche qu'il s'est imposée ! On peut très bien sortir d'une longue pérégrination sur la toile en ayant oublié ce qu'on était venu faire en se connectant...” La traque de l'attention « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible ! » On se souvient que cette phrase de Patrick Le Lay, alors PDG de TF1, avait provoqué un tollé en 2004. Elle appartient désormais à la préhistoire. Sur Internet, en effet, l'attention est la ressource rare. Nous sommes entrés dans une économie de l'information, mais aussi de l'attention. Le temps d'attention n'est pas extensible à l'infini. Nombreux sont ceux qui se battent pour attirer ce « temps de cerveau disponible » de l'internaute. Notre vie part ainsi en fumée. C'est notre âme que se disputent les marchands du temple. Si la forêt amazonienne est menacée par l'exploitation économique, le vaste continent de notre vie intérieure l'est tout autant. Mais cela ne semble pas préoccuper grand monde. Herbert Simon, lauréat du prix Nobel d'économie en 1978, affirmait dès 1969 qu'uneabondance d'informations engendrait une pauvreté d'attention. Notre temps, qui est notre bien le plus intime, on veut nous le dérober avec une séduction captieuse. Si nous voulons retrouver notré liberté, il nous faut le reconquérir avec détermi-nation. Que le temps perdu et regagné devienne vraiment fécond.” Combiner action et loisir “Notons que le loisir n'est pas incompatible avec le fait de rester actif jusqu'à la dernière minute de sa vie. « Il faut un mélange : l'homme de loisir doit agir et l'homme d'action doit se donner du temps libre. » (Sénèque, Lettre III.) C'est comme un enclos sacré que nous préservons pour l'essentiel : la lecture, la réflexion, la création, la méditation... ce que les philosophes appellent la « contemplation de la vérité ». On peut s'y adonner depuis son plus jeune âge jusqu'à la fin de sa vie tout en restant actif. La proportion entre l'action et la contemplation peut changer. Dans cette perspective, la vision de la retraite change. Nous pouvons ainsi nous ménager des « petites retraites » tout au long de la vie plutôt qu'attendre une seule et grande retraite.” La création permanente “Le monde est une création permanente. Quand ce qui n'était pas advient - une vie nouvelle, une journée immaculée, un ouvrage de l'esprit ou une œuvre de la main -, il y a création. Notre vie peut être féconde, si nous sommes cocréateurs conscients. Il est bon de vivre le temps selon ce principe créateur à l'œuvre au cœur de l'univers. Précisons. Une vie créative n'est pas une vie d'artiste. Ou pas seulement. Ce n'est là qu'une vocation particulière, qu'il ne faut pas sur-valoriser. Il n'y a pas d'un côté les « créateurs » et de l'autre, le reste de l'humanité. Une vie créative s'oppose simplement à une vie méca-nique, sans conscience, sans esprit. Elle est une réponse toute personnelle, un état d'esprit, un engagement vital. Le mal, qui détruit et dimi-nue, s'oppose à cette vie créative. Quelles que soient notre vie et notre vocation sur cette terre, nous pouvons rendre notre existence créative en esprit. On peut l'être de façon active - à travers nos projets et ce que nous bâtissons, à condition de les conduire avec ce regard spirituel - mais aussi par le service aux autres, ou en tendant grâce, tout simplement, de ce qui à chaque instant. inconscient. Si nous nous réjouissons du chant d'une mésange auquel personne ne prête atten-tion, nous devenons, serait-ce pour une part infime, cocréateurs de la création. Combien davantage alors le sommes-nous en éclairant et fortifiant les êtres humains qui nous entourent !” La création dans les tâches les plus humbles On peut ainsi aborder de façon contemplative les aspects les plus prosaïques de la vie. Comme méditer en se brossant les dents ou en balayant la cuisine. Les moines se vouent à la prière et aux travaux de l'esprit mais ils pratiquent aussi le travail manuel. Spinoza est un immense philosophe, il fut aussi un polisseur de lentilles. De même, Rousseau fut copiste de musique. Il n'y a pas d'un côté les tâches ingrates et de l'autre les loisirs nobles, comme le croyaient les Anciens. Tout s'interpénètre. Le manuel se spiritualise. La spiritualité s'incarne. Le temps est création, oui, mais la création pénètre les activités les plus humbles - et même les plus rebutantes en apparence. “(P65) Un régime du temps “De la même façon, si nous sommes fâchés avec le temps, il nous faut pratiquer un régime spécifique. C'est-à-dire une hygiène mentale consciente et volontaire pour reconquérir notre liberté intérieure et résister aux sollicitations multiples. Nous avons vu que les voleurs de temps, semant mille tentations, prolifèrent dans notre univers virtuel. Ces bandits ne sont pas embusqués au coin de la rue mais surgissent des profondeurs de notre écran. Comme les logiciels malveillants appelés « chevaux de Troie », ils prennent possession de notre cerveau à notre insu. Ces virus qui s'accumulent dans notre esprit finissent pas nous épuiser nerveusement. Pour la gestion du temps, c'est la même chose : le principe cardinal, c'est de nettoyer son emploi du temps de ce qui est inutile - sans même parler de ce qui est néfaste. Et de le remplacer par ce qui est nécessaire et que nous avons choisi.” (P71)